Ce mois d’octobre 2018 a donné lieu à un mouvement global de redéfinition de la notion même de management. Le management est une discipline toute jeune. Elle fait son apparition il y a à peine plus d’un siècle, avec la nécessité d’adapter les modes d’organisation aux modes de production de la seconde ère industrielle. Sans dresser une Histoire complète de cette notion, on se permettra un petit tour d’horizon de son modelage au cours du XXe, afin de mieux comprendre son ancrage contemporain.
C’est l’œuvre d’Henri Fayol, Administration industrielle et générale, publiée en 1916, qui définit véritablement les contours de ce qu’on considère comme « le taylorisme à la française ». Son approche globale s’intéresse à l’organisation de l’entreprise dans son ensemble, et bâtit pour la première fois une doctrine cohérente de la fonction de direction, d’encadrement, qu’il nomme « Administration ». Le succès de son œuvre est si important qu’elle traverse l’Atlantique et trouve aux États-Unis un écho si fort qu’elle fait alors naître la notion qu’on connaît aujourd’hui si bien : celle de management.
L’irruption de la psychosociologie dans les théories de l’organisation des entreprises remonte, elle, aux années 20, et se caractérise véritablement au sein de l’œuvre de Mary Parker Follet, la première auteure à introduire le facteur humain dans le management et à considérer la nécessité de définir, en même temps que la vision de l’entreprise qu’on souhaite voir développer, la vision de l’Humain qui y est corrélée.
C’est, en somme, la naissance de l’école des « Relations Humaines » , qui pose enfin que « la responsabilisation est le grand révélateur des possibilités de l'homme ». Une manière de considérer, aussi, qu’au-delà de la satisfaction de ses besoins matériels, l’Homme-ouvrier a besoin de rapports sociaux et affectifs qui lui permettent considération et réalisation de soi. Dit autrement, il y a des fondements non économiques à la satisfaction au travail, qui conditionnent donc la productivité elle toute économique. L’après-guerre fera connaître au management toute une série de revirements théoriques et de constructions notionnelles diverses, jusqu’à l’émergence de l’idée de « management participatif » , qui pose en postulat que l’individu salarié, poussé par son besoin de reconnaissance et d’appartenance, a tout intérêt à être « intégré » à la dynamique de progression de l’entreprise, à être impliqué dans les processus de décision, d’établissement des objectifs et des résultats, idée qui se matérialisera dans la Loi de 1967 sur la « Participation des salariés aux fruits de l’expansion » . Ainsi se dessinent les contours de l’entreprise que nous connaissons, portée par un « projet » et une « culture » représentés par tous et par chacun.
Et aujourd’hui, où en sommes-nous ? La modification récente des modes d’organisation du travail, liée à la révolution numérique en même temps qu’à l’explosion de l’urbanisation et à l’automatisation d’une partie des tâches qui incombaient à l’Homme, amène à repenser les modes d’administration des collectifs de travailleurs. À l’heure où ces groupes sont, en eux-mêmes, raréfiés, la travail indépendant, à domicile ou en espace de coworking, se développant plus que jamais, il convient de définir la place et la fonction que peut et doit alors prendre le management.
D’après un sondage réalisé par Madame Figaro avec BVA auprès des cadres de moins de 40 ans, publié le 21 octobre, la condition de l’épanouissement dans les postes à responsabilité, ainsi que de la production d’un effet d’entraînement des salariés, est celle-ci : le management nouveau doit puiser ses ressources dans une plus large promotion de l’autonomie, de la confiance et de l’exemplarité.
L’obstacle qui se poserait en premier lieu face à la réalisation des ambitions des salariés : le modèle d’exercice du pouvoir renvoyé par les dirigeants et, en somme, leur mode de vie, assumé et par suite considéré comme modèle de réussite. Dans un récent article publié au New York Times, Elon Musk, cofondateur et PDG de Tesla, confiait « travailler 120 heures par semaine, prendre un sédatif régulièrement pour dormir, et s’isoler de plus en plus de ses enfants comme de ses amis ». Or, note l’économiste Nicolas Bouzou, « À une époque où les machines sont utilisées de plus en plus largement pour les tâches faciles, les salariés sont eux appelés à résoudre ce qui reste complexe. Donc les entreprises ont réellement besoin d’attirer les talents aux postes de leadership ».
Mais ces salariés refusent, à juste titre, de se laisser dévorer par la tâche et par l’entreprise, de se voir confisquer leur temps par leur ambition et, par suite, de négliger leur vie personnelle et/ou familiale. Si 87% des sondés confie que la motivation à occuper un poste de dirigeant se trouverait dans «la conduite d’un projet qui a du sens pour faire évoluer la société » , 44 % d’entre eux juge que «le rapport entre investissements demandés et sacrifices n’est pas satisfaisant ».
L’entreprise se voit, depuis quelques années, bousculée par le fonctionnement plus horizontal et collaboratif des start-up. Alors qu’elle emploie près de la moitié des 25 millions de salariés en France, l’entreprise à la française semble en souffrance de son modèle d’organisation classique. Dans les priorités mises en avant par les sondés quand on leur demande ce qui pourrait les pousser à vouloir occuper une fonction de manager, on trouve en première place la maîtrise de ses horaires, suivi de près par la possibilité de travailler chez soi aussi souvent que nécessaire. La reconquête de son propre temps donc, en premier lieu, devient un impératif, qui s’associe au droit garanti à la déconnexion en dehors des heures de travail, grande problématique de l’ère « connectée » dans laquelle les nouvelles communications nous ont fait entrer.
Alors, comment doit se faire le management de demain ? « Au tableau des qualités souhaitées, ce qui prend les premières places opère dans le champ du relationnel, commente Erwan Lestrohan, directeur du département Opinion de BVA. Cette population jeune n’entend pas laisser les décideurs dans leur bulle, elle veut sortir ces fonctions de direction de l’isolement et de la verticalité ». Quant à l’exemplarité, M. Lestrohan la définit ainsi : « D’un leader, on attend aujourd’hui qu’il montre une correspondance réelle entre son engagement et ses actes », de quoi conforter, donc, le mouvement de rationalisation en route dans toutes les grandes firmes qui s’équipent de « consultants en philosophie », leur permettant de reconquérir cette autocohérence appelée des vœux des salariés. Enfin, pour Nicolas Bouzou, «L’autorité désirable est celle qui augmente les possibles de chacun, conformément à l’étymologie du mot qui est augere, "augmenter" » : de quoi inviter les dirigeants à repenser leur rapport à cette notion pivot pour leur fonction.
Le 17 octobre s’est tenue la première "DCF Academy Bordeaux Gironde", une convention organisée par les Dirigeants Commerciaux de France autour de la thématique « la métamorphose du management » . Autant dire que c’est donc un sujet qui a le vent en poupe. Le but ? Apporter des réponses claires à la problématique entrepreneuriale actuelle.
À cet effet, Jean-François Hadida, Directeur de Orange Campus et HR Business School, a dressé le constat suivant, permettant de prendre la mesure des transformations à opérer : « entre 2004 et 2010, dans le top 10 des métiers, aucun ne se trouvait en commun. Autre indice, 50% des personnes qui travaillent actuellement ont moins de 5 ans d'ancienneté dans leur emploi. De plus, la concurrence arrive n'importe comment, n'importe quand, de n'importe où. Tout cela crée une incertitude totale ! Nous sommes dans un monde VUCA : volatile, incertain, complexe et ambigu ».
Nous devons donc tirer toutes les conséquences de cette nouvelle donne. « Il ne doit plus y avoir de boss, mais un BOS : un But d'Ordre Supérieur », ajoute-t-il, promouvant la « gouvernance adaptative » , une organisation non pas verticale, ni horizontale, mais diagonale, ou en cercle concentriques, en tous cas portée avant tout et in fine par un objectif commun.
Un management qui doit donc se faire humble, porteur de sens surtout, et continuellement à l’écoute, son but ainsi redéfini étant de fluidifier les rouages de l’entreprise. Une perspective que rejoint David Azoulay, Président-Directeur général d’Immo9 Nantes, pour qui « la bonne marche d’une entreprise tient à l’implication continue des maillons qui la constituent, les collaborateurs. Le manager n’est aujourd’hui, finalement, que la courroie de distribution qui permet le fonctionnement global de la machine, il est une pièce clé, mais il est entièrement imbriqué aux autres. L’ancien modèle le posait en encadrant, le nouveau doit le réintégrer au cœur du cadre. » Sa société, Immo9, repose sur cette conception, et c’est sur l’adhésion à cette nouvelle vision de l’entreprise que sont recrutés ses collaborateurs. Sur le même mode, Jean-François Hadida n'hésite pas non plus à s'inspirer des fourmis dans sa fonction de directeur d’Orange Campus : à la source de son inspiration, l’organisation en « collectivité de masse qui fonctionne sans centralisation et sans aucun donneur d'ordre, mais par fréquence de contact et effet de seuil » .
Autre évènement, autres théories : le deuxième hackaton du management s’est tenu les 4 et 5 octobre au siège de la Banque de France à Paris, sous l’impulsion du fondateur du cabinet de conseil Ethikonsulting, Frédéric Rey-Millet, à l’origine de cette manifestation. Le but de la compétition : imaginer comment encadrer les salariés autrement, « casser les codes du management » .
Les idées qui en sont sorties : manager sans se prendre au sérieux, valoriser le retour d’expérience ou encore asseoir le droit à l’erreur. Et, surtout, pour Frédéric Rey-Millet, « Il y a une absence de cap, de vision dans les entreprises. Gagner des parts de marché ne fait pas un objectif suffisant. » L’impulsion de sens donc, encore et toujours, revient sur les tables de brainstorming des managers en questionnement existentiel comme une priorité de premier ordre.
Pour Amine Ezzerouali, enseignant chercheur à la Skema Business School, « Ce que l’on oublie souvent de souligner, c’est que ces « nouveaux » modèles ne questionnent pas la primauté de l’efficience économique dans la recherche de performance et ne font que développer d’autres formes de contrôle cachées, perçues parfois comme trompeuses voire cyniques, comme par exemple celle du contrôle par les pairs. » L’auteur souligne ici la nécessité d’une redéfinition plus en profondeur du management, et critique les attitudes de mots d’ordre lancés à la volée et les « révolutions » aussi récurrentes qu’éphémères dans le domaine.
Il ajoute que « Le management est par essence complexe et paradoxal. Chercher constamment à le simplifier réduirait son utilité, voire conduirait à produire les effets contraires à ceux souhaités. Le management s’est construit en se fondant sur les travaux des économistes, certes, mais aussi ceux des ingénieurs, des sociologues, des politologues, des juristes, des anthropologues, des philosophes, des biologistes, des linguistes, des architectes, des chercheurs en neurosciences et plusieurs autres champs disciplinaires. Chaque perspective contribue à mieux cerner les organisations dans lesquelles nous vivons. Chacune a ses spécificités. Toutes sont utiles. »Free-mba.com est un site Ecole-Commerce.fr - Contacts - Copyright 2002-2022 © Free-MBA.com